mardi 27 octobre 2015

Nietzsche remplace Kojima pour le prochain Metal Gear Solid

Les citations de Metal Gear Solid V  

Après avoir généreusement donné quatre-vingt-cinq heures de ma vie à Metal Gear Solid V : The Phantom Pain, j’ai réalisé qu’il était peut-être temps d’ouvrir les rideaux et voir si la troisième guerre mondiale n’avait pas éclaté. Rassurée de voir un soleil lumineux dans le ciel bleu, c’est sans remord que je me pose tranquillement devant mon pc pour écrire un petit article sur cet opus. En effet, MGS V regorge de bons gros sujets puisqu’il en évoque environ une demi-tonne allant de la philosophie du langage finissant sur la réalité en passant par le culte de la personnalité et par une philosophie propre aux jeux-vidéos. Je ne vais pas pouvoir évoquer tout ça dans cet article parce qu’il serait trop long alors on va aborder le jeu au travers des deux citations qu’il propose, une de Cioran et l’autre de Nietzsche qui sont deux gars que j’aime de tout mon cœur. Peut-être qu’un jour je ferais un autre article pour développer tous les points que je vais omettre ici. De plus cher lecteur innocent,  je te préviens, à partir de maintenant on va spoiler sans vergogne alors si tu n’y as pas joué ou que tu ne l’a pas fini, mieux vaut t’arrêter, poser les armes et me tourner le dos pour aller réfléchir en Alaska.
Pour les autres, froncez les sourcils, affichez un air badass, portez vos combinaisons moulantes d’espion et suivez Big Boss.   

"J'ai mis mon plus beau masque de Zorro"

« On n’habite pas un pays, on habite une langue. Une patrie c’est cela et rien d’autre. » - Emil Cioran

Si MGS V commence bien c’est qu’il démarre sur les chapeaux de roues avec une citation de mon philosophe favori (rien que ça). Alors ce cher Emil je l’ai déjà évoqué rapidement dans quelques articles précédents donc je ne vais pas m’étaler dans sa présentation. Faut retenir que ce mec était roumain mais il est parti faire ses études à Paris sauf qu’il a dû y rester parce que le régime installé en Roumanie après la seconde guerre mondiale était communiste et lui a interdit de rentrer. Cioran va donc abandonner petit à petit la langue Roumaine (vous voyez, déjà on parle de l’importance de la langue restez concentré) pour le français. La plupart de ses livres sont des recueils d’aphorismes (genre des citations qu’on retrouve sur evene) alors ça se lit assez vite et je ne saurais que trop vous le conseiller tellement c’est incroyable. Je le vend un peu ce petit gars parce qu’il est pas très connu et qu’il est pourtant fort intelligent.
Si le jeu commence sur cette citation, c’est que MGS V a toute son intrigue (ou presque) centrée sur la langue, ses dangers, son importance. Rappelons que le méchant du premier chapitre, Skull Face a pour dessein de tuer tous ceux qui parlent anglais, rien que ça. Le petit discours qu’il déclame alors qu’on fait une balade en voiture dans le plus grand des calmes expose tous les enjeux. La langue a une importance plus immense que ce que l’on pense et on peut déjà lui trouver deux fonctions majeures : elle structure la pensée et elle forme une appartenance.
« Avec chaque changement, j’ai moi aussi changé. Mes pensées, ma personnalité, ma vision du bien et du mal… » Dit Skull Face. On peut légitimement être perplexe face à cette importance donnée à la langue mais, il s’avère que le système de signes qu’est le langage est ce qui nous fabrique entièrement. Lorsqu’on pense, qu’on réfléchit, qu’on veut développer des idées, on est limité par les mots, encadré par notre langue. Le langage n’existe pas, seules les langues existent. Quand tu évoques un simple mot, tu l’exprime chargé de tout son sens social et historique, il n’est pas flottant mais ancré dans la société. Emile Benveniste (à croire que ce prénom incite à ce genre de réflexions) un linguiste français du XXe siècle explique dans ses Problèmes de linguistique générale que la pensée et le langage se créent en même temps puisque le langage inscrit les choses dans le réel et penser c’est justement reproduire ce réel pour soi. Ainsi la langue est plus influente qu’on ne le croit parce qu’elle crée sens, symboles donc réalité. Et ces symboles ne sont pas les mêmes dans toutes les langues voilà pourquoi certains mots n’ont pas d’équivalence d’une langue à une autre. « On habite une langue » et l’on notera que les pays parlants les mêmes langues ont des ressemblances mine de rien : L’Angleterre et les Etats-Unis, sont des pays où, même si ils n’étaient pas parfaits, des régimes parlementaires se sont mis en place bien plus tôt dans l’histoire qu’en France (qui s’est inspirée d’eux pour sa révolution) et, paradoxalement, ce sont aussi deux pays plus aptes au « culte » de leur dirigeant : le président aux USA doit être parfaitement transparent envers son peuple et les anglais ont leur Reine. Peut-être que j’exagère un peu mais vous comprenez l’idée que langue = pensée et culture, qu’on le veuille ou non.
Ainsi Skull Face est tout colère parce qu’on lui a volé sa pensée mais en plus de ça il accuse Zero de vouloir contrôler le monde avec l’anglais. Parce que oui, si une langue forge une culture, une langue pour tous unifie et influence, d’où la critique aujourd’hui même de l’hégémonie de l’anglais (comme quoi tout est lié huhu). Ce n’est pas pour rien que lors de différentes révolutions qui se sont déroulées en Europe aux XVIIIe et XIX siècles, l’une des idées première était de codifier parfaitement une langue pour affirmer un langage national et ainsi légitimer et unifier un peuple.
Voilà pourquoi notre grand méchant au visage assez effrayant ne veut pas exterminer un pays mais la langue qu’il exporte parce qu’avec celle-ci il exporte pensées, idéaux, culture et unification. La langue que nous parlons nous forme et on comprend ainsi pourquoi Skull Face parle de « la peine à perdre sa propre langue » en écho à Cioran qui dans une lettre évoquait le « drame d’écrire dans une langue qui n’est pas la [sienne] ».

#JeSuisBigBoss

« Les faits n’existent pas, il n’y a que des interprétations. » - Friedrich Nietzsche

Pour commencer, essayez de prononcer le nom de ce type tout haut, très vite, en boucle, vous allez voir c’est hyper difficile. Friedrich Nietzsche a réussi l’exploit d’avoir un prénom aussi dur à prononcer qu’à écrire. Nietzsche, l’homme à la moustache fabuleuse (je vous jure, allez vérifier sur google), est un allemand plutôt famous donc pas besoin d’une présentation détaillée. Il est aujourd’hui encore très influent dans les philosophies contemporaines et a notamment beaucoup influencé Cioran (à croire que c’est fait exprès) avec le nihilisme (cf articlesur Mad Max).
Cette citation c’est un peu : « Ahah je vous ai encore bien baisé » - Hideo Kojima. Parce qu’une nouvelle fois, l’auteur de ce jeu a joué avec nos perceptions, nous a fait voir des choses pour finalement nous dire qu’on a été un peu bête de tout croire comme ça et qu’on a interprété seulement ce qu’on a vu. Ici, l’idée que j’expliquais pour Metal Gear Solid 2 est largement reprise bien que cette fois ce n’est plus sous la forme de simulations mais d’interprétations ce qui n’est au fond pas si différent. Si vous avez été attentif jusqu’ici, pensez au langage. Le langage, c’est donné un sens à notre réel avec des symboles, des signes donc la langue est une interprétation de ce que l’on voit. Ainsi la réalité comme on la voit aujourd’hui ce n’est qu’interprétations, apparences : « Nous avons aboli le monde vrai : quel monde restait-il ? Peut-être celui de l'apparence ?… Mais non ! En même temps que le monde vrai, nous avons aussi aboli le monde des apparences ! » (Nietzsche). Cette citation montre le paradoxe des faits, du réel : si le réel n’est qu’apparence, l’apparence devient le réel. Et ça devient un peu mind fuck comme genre de théorie. Cette idée est poursuivi par Baudrillard un français que j’ai déjà largement évoqué pour MGS 2 mais qui est très utile aujourd’hui avec son ouvrage Le crime parfait. « [Le réel] nous a été donné comme simulacre, et le pire est d’y croire à défaut d’autre chose » écrit-il poursuivant cette idée de manière encore plus extrémiste. On nous gave d’un certain « réel » avec des images et c’est encore pire aujourd’hui avec la télévision. Par exemple les journaux télévisés filment le réel, et pourtant ils s’amusent à l’investir d’un sens qui déforme la réalité et donne l’impression aux plus crédules d’entre nous que le monde est actuellement en pleine apocalypse avec crimes, meurtres, viols, etc. Les faits n’existent plus, il n’y a plus que l’interprétation que l’on a des images que l’on nous expose.
A la fin Kojima, simule parfaitement cette idée. Durant tout le long nous avons supposé être Big Boss et en fait non, ce n’était qu’un remplaçant. Coup dur n’est-ce pas, on s’est laissé duper par les images, par la confiance aveugle en l’information. Ça fait un peu réfléchir à l’influence qu’ont les images sur nous, et c’est le même genre de réflexions que propose MGS 2 ou en un sens Bioshock premier du nom (mais ça on le développera un autre jour je le promets). A quel point la réalité est-elle déformée par la langue, les images, la culture, ses propres sentiments ? Existe-t-il une réalité en dehors de tout ça ?

Metal Gear Solid V est donc un jeu qui malgré ses défauts évidents m’a beaucoup plu par son intelligence (et puis bon c’est du MGS alors quoi qu’il advienne c’est le meilleur jeu de l’année cqfd). Une nouvelle fois il s’intéresse à la manipulation dans le sens du langage mais aussi dans la réalité et cela est appuyé par sa réflexion que je n’ai pas développée ici sur le culte de la personnalité envers Big Boss à Mother Base. En sortant du jeu il est bon de se demander jusqu’où on peut se faire manipuler consciemment ou inconsciemment ou à quel point la réalité qui nous entoure est vraie et pure ou disparue.

Nerd Anonyme

2 commentaires:

  1. J'ai adoré ton article et ton interprétation de MGSV, qui est vraiment le sens de ce jeu (ormis les moult autres) . J'aurai aimé voir ton développement du culte de la personnalité de Big Boss, qui est le «ciment» de la motherbase. Maybe one day!

    John.

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  2. Ton analyse est génial, et j'ai hâte de découvrir la suite ( sur MGS, ainsi que sur d'autres sujets). Ne lâche pas, c'est vraiment plaisant à lire !

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